Frontières & appartenances dans la Caraïbe et les Amériques
L’approche par les frontières renvoie à la démarcation des territoires, à la classification des écosystèmes, aux séparations objectives tout autant que subjectives, aux oppositions sociales, politiques et mémorielles des groupes. L’approche par la trajectoire vise à appréhender les changements de positionnement au cours du temps et met l’accent sur les processus et les ressorts sociologiques des phénomènes observés. L’articulation de ces deux approches permettra de travailler, en associant jeux d’échelles et niveaux d’analyse, les idées d’expériences, de mobilité, de porosité, d’interactions, de subversions, d’échanges, de transformations des appartenances, des processus sociaux et des espaces.
Les frontières et les trajectoires, dans leurs différentes déclinaisons, peuvent être appréhendées comme des faits tangibles à partir desquels sont pensés les phénomènes sociaux contemporains. Examiner ensemble l’ouverture et la fermeture, la circulation et le cloisonnement, la fluidité et la rigidité permet de saisir des dynamiques telles que les catégorisations, les identifications, les représentations et la différenciation. Ainsi, les frontières et les trajectoires — sociales, genrées, ethniques, générationnelles, juridiques, artistiques, raciales, culturelles, territoriales, etc. — sont pensées comme des objets qui s’influencent et interagissent dans leurs effets réciproques.
En tenant compte des environnements sociohistoriques spécifiques à la Caraïbe et aux Amériques, l’attention portée aux acteurs et à leurs expériences prendra en compte le changement social par lequel se renforcent, s’atténuent ou se reconfigurent les dynamiques et phénomènes étudiés. La notion de crise sera investie pour prendre la juste mesure des transformations et ruptures provoquées, notamment, par la pandémie du Covid-19 qui affecte et va affecter de nombreux pans des organisations sociales, politiques, économiques et culturelles. À l’aune de ces transformations et des processus, aux ressorts anciens, qu’elles induisent — le racisme, le rejet, le repli, mais aussi la solidarité et l’innovation — et en considérant la question du rapport à la science, souvent fait de défiance, l’équipe FRACA repensera les outils de fabrication et de diffusion des connaissances vers un large public.
Les travaux de l’équipe FRACA sont structurés autour de trois axes :
MOBILITÉS, RÉSEAUX & TERRITOIRES
L’axe 1 Mobilités, réseaux et territoires a pour ambition de travailler, dans la Caraïbe et les Amériques, l’objet des mobilités et de la migration, et celui des reconfigurations des espaces sociaux, géographiques et idéels qui en découlent. La double approche par les frontières et les trajectoires permettra d’appréhender la migration comme un système aux dynamiques propres, mais également comme un processus saisi sur la durée, investi et incarné par des acteurs. Dès lors, la problématique des réseaux d’acteurs, de leur dynamique interne et de leurs effets sur les sociétés et les territoires sera développée. À partir des expériences récentes observées vers, dans et à partir de la Caraïbe et des Amériques, cette réflexion articulant mobilités, réseaux et territoires nous invite à opérer une montée en généralité théorique sur la spatialisation des mouvements de population, et de questionner les notions mêmes de territoire et de frontière. Cette ambition invite à mobiliser l’idée de circulation, de porosité et de transformations des appartenances et du rapport à l’altérité, et à examiner la construction des catégories identitaires et l’identification à ces catégories. L’analyse des stratégies et des ressources mobilisées par l’acteur migrant décrira les rapports de pouvoir et de domination qui informent les expériences de mobilité et d’immobilité en contexte migratoire. Enfin, nous étudierons les mémoires sociales qui émergent de l’ensemble de ces processus sur les territoires de nos enquêtes.
ESCLAVAGES & POST-ESCLAVAGES : HISTOIRE, REPRÉSENTATIONS & MÉMOIRES
Le lien entre la question de l’esclavage et du post-esclavage est crucial dans l’espace caribéen. La question de la mémoire de l’esclavage qui est travaillée depuis une vingtaine d’années n’a, à vrai dire, pas épuisé les ressources. Elle a permis la remise en question du discours systémique sur l’esclavage en y confrontant l’expérience du sujet ; elle a contribué à renforcer le lien entre l’esclavage et le « post », tout en s’interrogeant sur les effets de continuité. Ces différentes additions ont conduit à la valorisation de la post-mémoire où le trauma — comme notion globale et non située — et les sentiments qui en découlent réécrivent l’histoire selon une interprétation non factuelle. Cet axe a pour objectif d’accueillir les recherches autour de ces variables d’analyses dans des domaines très différents qui vont de l’écriture de l’histoire aux représentations et à l’histoire de l’art, à l’histoire du genre, à l’histoire des catégories de race, entre autres. On insistera sur la fluidité des frontières de sens et d’usage des termes esclavages et post-esclavages, et des catégories et notions associées. Ce positionnement large permet d’agréger les chercheurs au cours de projets limités dans le temps tout au long du prochain contrat quinquennal. L’un des supports de diffusion des résultats pourra être des numéros spéciaux de la revue Esclavages & post-esclavages/Slaveries & Post-slaveries (https://www.openedition.org/24940). La diffusion des connaissances auprès des publics n’est en effet pas une question annexe : elle doit être l’un des objectifs de chaque chercheur. e. dans la valorisation de ses travaux.
GENRE, INTERSECTIONNALITÉ & CORPORÉITÉ.S
Qu’il s’agisse de rapports sociaux ou de leur reconfiguration au sein d’espaces publics ou privés, collectifs ou individuels, professionnels ou domestiques, l’étude des processus de construction et de transmission des catégorisations genrées s’inscrit au croisement des notions de frontières et de trajectoires. À partir des notions de genre, d’intersectionnalité et de corporéité. s, c’est bien la linéarité des trajectoires sociales normées et l’homogénéité relative des frontières entre les corps sexués qui seront questionnées. L’objectif est de travailler la construction de subjectivités alternatives situées à la marge des systèmes normatifs binaires et d’explorer les rapports de genre spécifiques aux sociétés de la Caraïbe et des Amériques. Ces territoires, reliés par leurs trajectoires historiques et leurs pratiques socioculturelles, sont pourtant fragmentés par les délimitations des frontières nationales et linguistiques. Il est donc essentiel d’investir une perspective à la fois transcaribéenne et intersectionnelle en intégrant la race, la classe sociale et le genre, et d’appréhender les héritages entremêlés des sociétés postcoloniales au prisme des luttes régionales et globales contre les discriminations et des grands enjeux sociopolitiques qui sous-tendent les études sur le genre. Ces dernières sont traversées par des courants historiographiques et des orientations idéologiques différents qu’il s’agira de confronter. L’approche interdisciplinaire sera ainsi privilégiée en associant sciences sociales, humanités et arts pour mieux saisir la complexité des masculinités, des féminités et des sexualités, ainsi que les processus d’actualisation et de transmission des normes et pratiques genrées spécifiques aux sociétés postcoloniales.
Responsables de l'équipe FRACA : Dimitri Béchacq, Christelle Lozère, Myriam Moïse